Dans l’arrêt Office régional de la santé du Nord c. (Horrocks)1, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont conclu qu’un arbitre des droits de la personne n’avait pas compétence à l’égard d’une plainte relative aux droits de la personne déposée par une salariée syndiquée au Manitoba. La Cour a ainsi confirmé la compétence exclusive des arbitres du travail sur les différends résultant d’une convention collective en vertu des lois provinciales sur le travail en l’absence d’une intention claire du législateur de conférer une compétence concurrente à toute autre instance décisionnelle.


Le contexte

Mme Horrocks était une salariée syndiquée du secteur de la santé à l’emploi de l’Office régional de la santé du Nord (ORSN). Elle était visée par une convention collective interdisant la discrimination fondée sur une incapacité physique ou mentale. Après avoir été suspendue parce qu’elle s’était présentée au travail en état d’ébriété, Mme Horrocks a révélé sa dépendance à l’alcool à l’ORSN, qui l’a congédiée après son refus de conclure une entente exigeant qu’elle s’abstienne de consommer de l’alcool et qu’elle suive un traitement pour lutter contre sa dépendance. Le syndicat de Mme Horrocks a contesté par grief son congédiement, ce qui a mené à sa réintégration à certaines conditions, notamment les mêmes conditions de s’abstenir de consommer de l’alcool et de suivre un traitement. L’ORSN a ensuite congédié Mme Horrocks en raison de la violation alléguée de ces conditions.

Plutôt que de déposer un grief en vertu de la convention collective relativement à son deuxième congédiement, Mme Horrocks a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne du Manitoba (la Commission) en vertu du Code des droits de la personne du Manitoba (le Code), prétendant qu’elle avait été victime de discrimination en raison d’une incapacité, soit sa dépendance. 

L’ORSN a contesté la compétence de l’arbitre des droits de la personne en soutenant qu’un arbitre du travail avait compétence exclusive sur les différends résultant de la convention collective. Malgré cette contestation, l’arbitre en chef a estimé qu’elle avait compétence et a conclu que l’ORSN avait fait preuve de discrimination envers Mme Horrocks.

La décision de la Cour suprême du Canada

Lors du contrôle judiciaire, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a annulé la décision de l’arbitre en chef, ce qui a ensuite été renversé par la Cour d’appel du Manitoba. À la Cour suprême du Canada, le juge Brown, s’exprimant au nom de la majorité, a accueilli l’appel de l’ORSN et a annulé la décision de la Cour d’appel du Manitoba. Selon la majorité, la jurisprudence de la Cour a toujours reconnu la compétence exclusive des arbitres du travail lorsqu’une loi sur les relations de travail comprend une disposition qui prévoit le règlement définitif des différends résultant d’une convention collective.

Citant plus précisément certains jugements de la Cour suprême du Canada, dont Weber c. Ontario Hydro2, le juge Brown a soutenu qu’une analyse en deux étapes était nécessaire à la résolution des conflits de compétence entre un arbitre du travail et un tribunal d’origine législative :

  • D’abord, il faut examiner le régime législatif en cause afin d’établir s’il confère une compétence exclusive à l’arbitre du travail et sur quelles questions porte cette compétence exclusive. Dans le cas des lois en matière de travail, une clause de règlement obligatoire des différends prévoit souvent qu’un arbitre du travail a compétence exclusive pour trancher les différends portant sur l’interprétation, l’application ou la violation d’une convention collective. Cette compétence exclusive ne peut être exclue seulement lorsque l’intention du législateur à l’effet contraire est clairement exprimée.
  • Ensuite, si la loi confère une compétence exclusive à un arbitre du travail, il faut établir si le différend en cause relève du champ d’application de cette compétence. Il faut analyser la convention collective et les circonstances factuelles qui sous-tendent le conflit, et non la qualification juridique de la question.  

En appliquant cette analyse au cas en l’espèce, à la première étape, la majorité s’est penchée sur la Loi sur les relations de travail du Manitoba (la Loi) et le Code. La Loi contient une disposition prévoyant le règlement obligatoire des différends et révélant l’intention du législateur de conférer une compétence exclusive à l’égard des différends résultant d’une convention collective à un arbitre du travail en vertu de la convention collective. Par ailleurs, le Code n’écarte pas clairement cette compétence exclusive conférée par la Loi. Par conséquent, les dispositions du Code sont insuffisantes pour conférer une compétente concurrente sur les différends relatifs aux droits de la personne résultant d’une convention collective. 

Lorsqu’il s’est penché sur la deuxième étape, le juge Brown a considéré que la nature essentielle du différend résultait de l’interprétation, de l’application ou de la violation de la convention collective entre le syndicat de Mme Horrocks et l’ORSN. Plus particulièrement, la plainte de Mme Horrocks portait sur le fait que l’ORSN avait exercé ses droits de la direction d’une manière incompatible avec les limites prescrites par la convention collective et la législation, y compris le Code. Alors que Mme Horrocks avait qualifié juridiquement sa plainte comme une violation des droits de la personne, le contexte factuel sous-jacent portait sur la manière dont son employeur avait exercé ses droits de la direction résultant de la convention collective.

Citant Ford Motor Co. of Canada Ltd. c. Ontario (Human Rights Commission) (2001) (aussi connu comme Naraine), une décision de la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Brown a reconnu que certaines cours d’appel avaient conclu qu’en raison de la primauté des lois sur les droits de la personne, il était nécessaire que le législateur s’exprime en des termes explicites pour exclure la compétence d’un tribunal des droits de la personne. Bien que refusant de commenter sur l’à-propos d’une telle approche, le juge Brown a souligné que l’inclusion d’une clause de règlement obligatoire des différends dans une loi sur les relations de travail doit être considérée comme une indication explicite de l’intention du législateur d’écarter l’application des lois sur les droits de la personne.

À retenir

Dans l’affaire Horrocks, la majorité des juges de la Cour suprême du Canada ont clairement reconnu la compétence exclusive des arbitres du travail à l’égard des différends relatifs aux droits de la personne dont le caractère essentiel découle de l’interprétation, de l’application ou de la violation d’une convention collective au Manitoba. Le jugement remet également en question l’application continue de la cause Naraine et autres décisions de cours d’appel, lesquelles avaient précédemment reconnu la compétence concurrente des arbitres des droits de la personne dans d’autres provinces canadiennes. 

On ne sait pas encore si les tribunaux provinciaux à l’extérieur du Manitoba adopteront l’approche envers l’exclusivité arbitrale proposée dans l’arrêt Horrocks ou s’ils s’éloigneront de ce précédent en raison des différences qui se trouvent dans les différentes lois provinciales sur les droits de la personne. Comme l’indique la juge Karakatsanis dans sa dissidence, comparativement au Code manitobain, les lois sur les droits de la personne en Ontario et en Colombie Britannique ainsi que les lois de compétence fédérale en la matière comprennent des clauses plus explicites envisageant de déférer une demande devant une autre instance. 

Par conséquent, bien qu’ils ne soient pas explicites, les régimes législatifs dans ces provinces peuvent révéler l’intention du législateur de conférer une compétence concurrente aux arbitres des droits de la personne dans des causes pouvant également faire l’objet d’un grief. Compte tenu de l’importance des questions en jeu, les répercussions de cette décision se feront sans doute sentir très prochainement.


Notes

1   2021 SCC 42.

2   [1995] 2 SCR 929.



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